Journée européenne de la bio : ne gâchons pas la fête
- UNAB
- il y a 6 jours
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Dernière mise à jour : il y a 1 jour
Alors que le secteur bio devrait fêter sa force, sa résilience et ses plus-values sociétales, plusieurs éléments politiques pourraient venir gâcher la fête : risque de fusion des organismes d’encadrement, menace sur le budget PAC, disparition programmée des experts du développement de filières bio. Face à ces menaces, le secteur reste fier et motivé mais va devoir se coordonner et parler d’une seule voix.

Hier, le 23 septembre, c’était la journée européenne de la bio. Le secteur, un peu partout, aurait dû faire la fête. Il devait célébrer l’existence d’un mouvement qui rassemble 490 000 agriculteurs en Europe, dont 2000 rien qu’en Wallonie. Il aurait dû se réjouir de bâtir chaque jour un modèle agricole alternatif, nourricier, autonome, intégré dans son environnement, en phase avec les exigences croissantes des consommateurs et des politiques qui déroulent du « One Health » à toutes les sauces.
On doit bien avouer que ce n’est pas l’état d’esprit du moment. La morosité ambiante est palpable dans le secteur bio. C’était le cas en France cet été face aux manœuvres du ministères de l’agriculture. C’est aujourd’hui aussi le cas en Wallonie.
On devient ce qu’on mange
Tout a en effet démarré en 2022 suite à l’invasion de l’Ukraine, qui a plongé l’Europe dans une spirale inflationniste face à laquelle les consommateurs, mais aussi le retail et l’industrie, ont revu leurs priorités. Exit la durabilité certifiée (le bio), priorité au prix bas et à la durabilité supposée (ACS/régénératif/agroécologie/...). Les producteurs ont fait face, non sans peine, avec agilité. On attendait des pouvoirs publics la même énergie positive.
Cette correction de marché, bien que majeure, n’explique pas à elle seule le sentiment ambigu qui traverse les acteurs de la bio : Depuis fin 2024, le marché bio redémarre. Les consommateurs reviennent. Les acteurs de la santé (mutuelles, médecins…) se mobilisent en faveur de la bio. Les chercheurs sont de plus en plus unanimes sur les apports sociétaux du modèle. Certains industriels osent s’engager dans le modèle (sans le nommer, on en reparlera). Le souffle est bien là , le secteur peut repartir.
Et pourtant, le doute est toujours là . En 2025, les surfaces bio sont en recul pour la 3e année consécutive en Wallonie. Si les agriculteurs.rices bio sont en grande majorité fièr.e.s de leur engagement bio[1], ils et elles ne voient pas l’avenir de manière très positive. Leurs marges bénéficiaires se réduisent. Les écarts de prix entre produits bio et conventionnels se réduisent aussi…chez le producteur et pas nécessairement en rayon. Les banques dégomment les projets de reprise en bio (malgré leurs engagements CSRD).
les acteurs sensés mettre en application le plan bio 2030 et organiser la croissance du mouvement ont perdu « la niaque »
Pour couronner le tout, de notre point de vue, les acteurs sensés mettre en application le plan bio 2030 et organiser la croissance du mouvement semblent avoir perdu « la niaque », gagnés par la déprime qui a touché le secteur depuis 2022 alors qu’on attend d’eux un enthousiasme communicatif. En tous cas, à l’UNAB, on y croit et on se bat au quotidien.
Les plans de développement de la bio ne déploient donc pas les effets attendus. Loin de là . La Wallonie visait 30% en 2030, l’UE 25%. La Wallonie plafonne à 12% et l’UE à 11%. Les grandes ambitions sont loin…et il n’en faudra pas beaucoup pour qu’elles soient abandonnées par les politiques, si le secteur (producteurs, transformateurs, coopératives, retail spécialisé) ne se bouge pas.
Car au-dessus de tout ça, une petite musique fait son chemin dans certains cercles politiques, un peu partout en Europe. Elle a démarré pendant les manifestations agricoles de 2024, et est montée en puissance en même temps que redéboulaient en force les idées de dérégulation ou de « sécurité » alimentaire, que le Green Deal était consciencieusement détruit et que le focus politique était mis sur la dette publique et la « nécessaire » cure d’amaigrissement des dépenses publiques qui va avec.
Il faudra faire mieux avec moins. On fera plutôt plus avec moins. La priorité retourne à la production de masse. Le soutien au secteur bio n’est pas prioritaire dans cette équation. Tant pis si ce calcul ne tient pas compte des externalités et des questions de long terme, qui ne sont pas une préoccupation politique valide en ce moment.
Les signaux d’alarmes sont là . En Wallonie, cette vision politique se traduit – ou pourrait se traduire - dans le secteur agricole (bio) d’au moins trois manières :
La commission européenne a annoncé une coupe budgétaire de 20% du budget de la prochaine PAC. Les budgets bio et environnementaux (écorégimes, MAE) ne font l’objet d’aucune contraintes minimales pour les Etats membres. Dans ce contexte, les tensions vont être énormes pour maintenir un niveau de soutien suffisant aux aides directes, aux petites fermes, aux éleveurs, aux céréaliers, aux maraîchers…aux bios. En Wallonie, plusieurs acteurs préparent déjà le terrain : « vu la contrainte, on ne pourrait pas maintenir le niveau de soutien actuel à l’agriculture biologique ». Pour l’UNAB cette vision court-termiste n’est même pas imaginable face aux défis agricoles d’aujourd’hui. On ne lâchera rien.
La Wallonie est partie à la chasse aux doublons, aux associations et organismes qui ne présentent pas de valeur ajoutée directe, quitte à aller trop vite et supprimer des fonctions qui ne sont pas remplies ailleurs. Des têtes tombent déjà  : la section bio du Collège des Producteurs, dont le boulot de grande qualité, 100% dédié au bio, n’a pas su être reconnu (compris ?), va disparaître à la fin de l’année. Leurs fonctions ne sont pourtant assurées par personne d’autre : organisation des assemblées de producteurs, travail ultra-fin sur la réglementation bio et… plans de développement des filières ! Eh oui, le développement stratégique des filières et des débouchés, soit la mission que le secteur considère comme prioritaire depuis des années, est abandonné. Comment espérer développer le secteur sans une vision prospective et économique digne de ce nom ? Spoiler alert : On ne peut pas.
Les grandes réorganisations, à coup de fusion, des organismes d’encadrement agricoles sont lancées, à la demande du gouvernement : Collège des producteurs, Apaq-W et Biowallonie doivent trouver des synergies et certains évoquent une fusion pure et simple. Alors qu’on sait que la bio a des spécificités techniques, de filières, de commercialisation, et de communication, le risque est grand de noyer le secteur au milieu d’une agriculture conventionnelle qui reste ultra-majoritaire et surreprésentée dans les différentes instances. Des synergies et une meilleure collaboration sont évidemment nécessaires (on a trop souvent vu ces organisations refuser la coopération et se tirer dans les pattes dans un schéma digne d’une cour de récréation) mais le secteur bio, vu ses avantages sociétaux majeurs, mérite un encadrement à la hauteur de ses spécificités. Par ailleurs, les tractations sont déjà en cours, alors que la Wallonie vient à peine de lancer l’évaluation du Plan Bio 2030, à la demande du secteur, et qui est sensée justement aboutir à des propositions d’amélioration du système. Pourquoi payer une évaluation du Plan si l’issue est déjà connue ? On vous le demande.
Et au niveau européen, le Commissaire Hansen va rouvrir le règlement bio avec l’idée de l’assouplir, sous la pression de l’Allemagne. Ce serait une monumentale bêtise : sans rigueur, le bio perd sa force. Toute dilution du cahier des charges serait une erreur stratégique.
Quoiqu’il en soit, le secteur bio ne se laissera pas faire et reste au taquet. L’UNAB garde la même énergie qu’il y a 40 ans. Nous demandons une reconnaissance à la hauteur des engagements sociétaux de nos producteurs, à la hauteur des services écosystémiques et de santé publique rendus par leurs pratiques.
Bonne nouvelle quand même : cette reconnaissance est acquise en partie. Les acteurs de l’environnement et de la santé sont des soutiens forts à la bio.
Bonne nouvelle quand même : cette reconnaissance est acquise en partie. Les acteurs de l’environnement et de la santé sont des soutiens forts à la bio. Pensez à la pétition contre la loi Duplomb, aux pétitions des médecins ou à l’Odyssée pour notre Santé des Mutuelles.
Par contre, les mondes agricole et économique restent en retrait et continuent de considérer à tort la bio comme une niche, peu productive, peu fiable, peu organisée.
Nommer les choses
C’est à vous que ceci s’adresse. Acteurs agricoles, banques, retail, industrie, investisseurs,… osez la bio ! Allez dans les fermes, explorez les différents modèles, pesez les avantages du modèle et vous trouverez des acteurs fiables, motivés, souvent à la pointe de l’agronomie et de la vision holistique d’une ferme. Osez aussi découpler votre réflexion de la notion de « rendement » pour identifier plutôt les marges, le revenu, l’autonomie, la vie des sols, les externalités environnementales, la santé publique, la qualité nutritionnelle, la qualité de vie des travailleurs...
Et prenez confiance : la bio est le seul système agricole contrôlé et certifié pour ses pratiques. Imaginez : les producteurs bio s’imposent à eux-mêmes des contraintes administratives supplémentaires…et paient pour ça. Ils paient pour démontrer qu’ils bossent bien et en toute transparence. Si ce n’est pas de la motivation, on ne sait pas ce que c’est.
Le pire, c’est que de nombreux acteurs soutiennent des fermes ou transformateurs bio, mais sans nommer les choses. Comme si le label bio était devenu paria, malfamé, désuet. Le label bio est pourtant ce que vous en ferez : portez-le en étendard, et il reprendra ses couleurs.

Problématiques pesticides, PFAS, qualité de l’eau, Cadmium dans les sols, cancers et parkinson, effondrement de la biodiversité, dépendance aux intrants russes, antibiorésistance, dérive climatique, perte de sens des métiers agricoles, renouvellement des générations. Et si la bio proposait des réponses à TOUS ces enjeux ?
Si comme nous, vous pensez que c’est le cas, exigeons ensemble que la bio soit reconnue et soutenue par tous les acteurs, qu’ils soient économiques ou politiques. Que la fête continue !
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Pour celles et ceux qui sont engagé.e.s en bio : soyez porte-parole du mouvement, parlez bio autour de vous, interpellez vos élus locaux et régionaux, gardez confiance, soyez fier.e et soyez vous-mêmes exemplaires. Le Bio-bashing n’est pas une fatalité.
Et si le cœur vous en dit, renforcez l’UNAB dans son combat en devenant membre ou en faisant un don. https://www.unab-bio.be/devenir-membre
[1] Voir baromètre du moral des agriculeurs.rices bio de l’UNAB – 2024 et 2025 : https://www.unab-bio.be/post/1er-barom%C3%A8tre-du-moral-des-agricultrices-et-agriculteurs-bio-de-l-unab-les-r%C3%A9sultats