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Eau et Bio : le prix du Bio n’égale pas ses valeurs

Focus sur les externalités de l’agriculture


Alors que de nombreux médias choisissent de crier « aux loups » en évoquant les difficultés actuelles du secteur bio, il est bon de rappeler que la plupart de ceux qui font l’agriculture biologique portent un ensemble de valeurs qui dépasseront (et doivent dépasser) le cadre d’une crise économique. L’agriculture biologique est beaucoup plus qu’un marché, une filière ou une opportunité économique. Les services environnementaux et sociaux qu’elle offre couvrent en effet un ensemble de valeurs sociétales. Focus sur le secteur de l’eau pour comprendre le concept « d’externalité ».



Les externalités sont les coûts (ou bénéfices) cachés d’une production donnée, que le consommateur ne peut pas mesurer. Les externalités négatives d’un type de production peuvent êtres positives ou négatives. Dans le secteur des transports, par exemple, la pollution de l’air et la congestion sont des externalités négatives d’un trajet en voiture. Celles-ci peuvent pénaliser des agents économiques, le bien‐être général, les contribuables ou consommateurs (coûts des pollutions, des nuisances, des effets sur la santé…).


Appliqué à l’agriculture, ce concept peut recouvrir de nombreux services : stockage de carbone, rétention d’eau ou maintien des paysages sont par exemple des externalités positives du secteur agricole. Parmi les externalités négatives, on cite souvent les émissions de gaz à effet de serre, l’impact sur la biodiversité, la pollution des sols, de l’air et de l’eau[i]. Ces externalités représentent un coût pour la société dans son ensemble, qui n’est pas pris en compte dans le calcul du prix d’un produit. C’est la collectivité qui devra payer les coûts de santé publique, de l’épuration des eaux ou des mesures agro-environnementales destinées à protéger la biodiversité.




Source : INRA, Natacha Sautereau, Marc Benoit. Quantifier et chiffrer économiquement les externalités de l’agriculture biologique ? Institut Technique de l’Agriculture Biologique (ITAB). 2016.



L’agriculture biologique apporte une réponse à ces externalités,

· En réduisant les externalités négatives liées à l’emploi des substances de synthèse (production, transport, effets sur la nature et la santé…).

· En apportant un surcroit d’externalités positives lié à la mobilisation d’un plus grand nombre de pratiques agroécologiques.


Sans être exhaustif, l’agriculture biologique implique une importation d’intrants réduite, la création d’emplois, un meilleur stockage de carbone, une moindre antibio-résistance, pas d’usage des pesticides de synthèse donc un moindre impact sur les eaux, la faune avicole et aquatique, la santé humaine, les pollinisateurs,…


L’agriculteur·rice bio rend donc des services collectifs qui sont (parfois) valorisés dans son prix de vente et ne portent pas sur l’ensemble de la collectivité. Les acteurs du bio qui sont conscients de cela – c’est-à-dire la grande majorité d’entre eux – ne changeront pas de système à cause d’une crise. C’est d’ailleurs un témoignage récurrent chez les agricultrices et agriculteurs bio : « passer en bio n’a pas été facile, mais je ne ferais marche arrière pour rien au monde ».


A l’inverse, l’utilisation de pesticides en agriculture conventionnelle présente des externalités négatives : une étude franco-belge de 2022[1] a montré que les « coûts cachés » des pesticides s’élèveraient de minimum 370 millions à plus de 8 milliards d’euros par an pour la France. Ces coûts reflètent les conséquences économiques des pesticides sur la biodiversité, la santé, le traitement des eaux, etc.


Les externalités de l’agriculture : mise en pratique sur la qualité de l’eau


Pour mettre ces services sociétaux en lumière, on peut appliquer ce raisonnement à un secteur qui a des interactions fortes avec l’agriculture : la protection des eaux souterraines, et donc la production d’eau potable. Le lien entre eau et agriculture, c’était d’ailleurs l’objet d’une conférence passionnante organisée le 01 août à Libramont, dans le chapiteau « En terre bio ». Elle réunissait experts wallons et Luxembourgeois.


Les eaux sont altérées essentiellement par 3 activités humaines : les pollutions collectives (eaux usées), industrielles et celles liées aux activités agricoles. Les deux premières ont fait l’objet d’une attention importante de la part des pouvoirs publics et la situation est aujourd’hui bien maîtrisée. En ce qui concerne l’agriculture, les plans d’actions mis en place depuis plus de 20 ans tardent à produire leurs effets, notamment en fonction de la géologie des sols et sous-sols…et de leur vulnérabilité variable. Selon les données du SPW et de la SPGE (qui est responsable de la gestion des eaux en Wallonie), l’agriculture est donc aujourd’hui la première source d’altération des masses d’eau souterraine, au travers des nitrates et pesticides[ii].


L’eau qui sort du robinet est de bonne qualité. La très grande majorité des captages satisfont aux exigences de santé publique. Mais la ressource est sous pression, tant du point de vue qualitatif que quantitatif, et le temps restant pour satisfaire aux exigences de la Commission européenne commence à manquer.



Source : SPW – état de l’environnement wallon - 2022


Cette situation est source d’externalités négatives importantes :


Externalité 1 : à titre d’exemple, au Grand-Duché du Luxembourg, une centaine de captage a dû être mis à l’arrêt pour cause de dépassement des normes de concentration de pesticides admises (parfois jusqu’à 50x la limite). Cette ressource, qui représente la consommation annuelle de 65 000 personnes, n’est dès lors plus disponible pour la société. En Wallonie, on évoque 46 captages fermés entre 2000 et 2020.


Externalité 2 : Pour les captages qui risquent de dépasser les normes maximales de concentration admises, l’installation de systèmes de filtration à charbon actif permet d’en poursuivre l’exploitation. Mais le coût de tels types de filtration est très élevé. Au Luxembourg comme en Wallonie, ce sont les consommateurs qui prennent ce coût en charge via la facture d’eau.


Externalité 3 : Pour contrer les effets des activités agricoles sur l’eau, les institutions déploient des contre-feux réglementaires, incitatifs ou techniques qui ont aussi un coût collectif : contrôles (en ferme et dans l’eau) dans les zones de protection, formations à la gestion de l’azote, structures de coordination, d’accompagnement ou de mise en réseau des agriculteur·rice·s, subventions à l’achat de certains matériels techniques voir rachat de parcelles prioritaires…


Externalité 4 : toutes ces actions – volontaires - prennent du temps pour déployer leurs effets. Et pendant ce temps, les concentrations en pesticides des eaux souterraines, bien que respectant les normes légales, restent problématiques. Avec un coût pour la santé publique ? La question est ouverte[iii].



Traitement des eaux et agriculture bio : les vertus de la prévention


Les outils développés en Wallonie autour de la protection de l’eau sont nombreux. Les acteurs du secteur (SPGE, PROTECT’eau, Natagriwal,…) sont très actifs sur ce thème. Au travers de leurs pratiques, les agricultrices et agriculteurs peuvent avoir une influence très positive sur les eaux souterraines et beaucoup agissent déjà en ce sens.

Malheureusement, tous les efforts développés n’auront pas suffi à parvenir aux objectifs imposés par l’Europe pour 2021. Et les objectifs de 2027 (l’ensemble des masses d’eau devant être qualifiées « en bon état ») semblent hors d’atteinte.


Au final – et ce sont les acteurs du secteur qui le disent – les budgets mobilisés pour le traitement des eaux est infiniment plus important que celui des mesures de prévention qui pourraient être prises pour limiter les pollutions à leur source.


Devant cette situation, pourquoi ne pas pousser plus avant le recours à l’agriculture biologique ? Il semble en effet urgent d’accélérer le mouvement et le bio est un des leviers les plus efficaces pour y parvenir. D’autres systèmes de cultures, usant de pratiques agroécologiques, peuvent apporter leur pierre à l’édifice mais l’agriculture bio et son cahier des charges strict garantit au moins une chose : au jour de la conversion, plus aucun pesticide de synthèse ne sera utilisé sur la parcelle concernée[iv]. La pollution des eaux est pratiquement réduite à zéro. Difficile de faire plus simple et efficace.


En ce qui concerne le nitrate, les débats sont encore ouverts. La plupart des études européennes tendent à montrer qu’une rotation complète en bio, par hectare de production, réduit les pertes de nitrate par lixiviation de 20 à 40%[v]. En conventionnel comme en bio, les pratiques de fertilisation et de pièges à nitrates sont ici déterminantes. Par exemple, un bon compostage des effluents d’élevage garantira une meilleure gestion de l’azote organique.



Faciliter la conversion au bio, en priorité autour des captages sensibles, est urgent.

C’est l’objectif du projet BiEAUlogique[vi], soutenu par la Ministre Tellier et le SPW, et porté par l’UNAB. Lancé en 2022, il vise une sensibilisation au bio, une mise en réseau et un accompagnement des acteurs agricoles situés sur les zones de captage les plus sensibles et qui veulent interroger leurs pratiques.


L’UE et la Wallonie espèrent atteindre 25 à 30% de surface agricole en bio en 2030. Et si on commençait là où les masses d’eau sont les plus touchées ? Renforcer les externalités positives liées à ces conversions en améliorant au plus vite la qualité de ces eaux ne semble pas dénué de sens… Dans d’autres régions d’Europe, les autorités ont déjà osé faire le pari de faire un lien entre agriculture bio et qualité de l’eau : Munich, Augsburg, Lons-Le-Saunier, Douai, Niort, Zone Seine-Normandie,…



Le bio : prix vs. Valeur(s)


Le bio est ainsi plus qu’une mode, une étiquette ou une valorisation économique. L’agriculture biologique, à l’image de la protection des eaux, fournit un ensemble de valeurs environnementales, sociales, gastronomiques ET économiques. A Libramont 2022, par exemple, une délégation de l’agriculture biologique tunisienne nous a présenté la stratégie bio tunisienne, qui établit un lien explicite entre agriculture biologique, agro-tourisme et bien-être.


En marge de cette Foire de Libramont, certains ont évoqué le « blues du bio » et les « possibles déconversions » qui en découleraient. Ceci ne fait que cacher l’essentiel :


- Les agricultrices et agriculteurs bio dépassent la simple application d’un cahier des charges et portent un ensemble de valeurs sociétales. Ils y resteront attachés au-delà des crises[vii].

- Les externalités positives de l’agriculture biologique sont désespérément oubliées du débat public et ne font l’objet d’aucune estimation publique.

- Les tensions sur le marché sont réelles mais ne font que montrer l’inadéquation du système agro-alimentaire mondialisé, auquel l’agriculture biologique et paysanne oppose un modèle vertueux.

- Le travail politique principal qui reste à faire est celui de l’accès à une alimentation locale de qualité. Les agricultrices et agriculteurs bio ne demandent pas d’aides complémentaires. Ils demandent un soutien qui permet à l’ensemble des citoyen·ne·s d’avoir accès à leurs produits.


Au même titre que pour d’autres dossiers liés à l’environnement ou au climat (mobilité, énergie, aménagement du territoire…), en Belgique, les tensions sont fortes dès que l’on tente d’évoquer les avantages de l’agriculture biologique. Pourtant, le monde ne peut plus attendre pour se remettre en question. La sécheresse et les records de températures successifs de 2022 devraient nous aider à le comprendre. Par ailleurs, la société va évoluer vers des pratiques plus résilientes, ça ne fait aucun doute. A Libramont, un fin connaisseur du monde agroalimentaire déclarait le plus sérieusement du monde que « de toutes façons, dans 30 ans, tout le monde sera en bio ».

Alors, pour la protection de nos ressources en eau, les populations d’oiseaux ou d’insectes, l’autonomie de nos fermes et la résilience de notre système agro-alimentaire, pourquoi attendre ?



[1] Alliot C, Mc Adams-Marin D, Borniotto D and Baret PV (2022) The social costs of pesticide use in France. Front. Sustain. Food Syst. 6:1027583. doi: 10.3389/fsufs.2022.1027583

[i] INRA, Natacha Sautereau, Marc Benoit. Quantifier et chiffrer économiquement les externalités de l’agriculture biologique ?. [Rapport Technique] Institut Technique de l’Agriculture Biologique (ITAB). 2016 [ii] SPW ARNE, Etat des nappes et des masses d’eau souterraine de Wallonie, mars 2022 [iii]Cela dit, la consommation d’eau du robinet, vu son suivi et sa qualité globale, reste à privilégier face à l’eau en bouteille pas toujours exempte de polluants et, surtout, dont le coût environnemental est énorme. [iv] A noter : en Wallonie, les contrôles des exploitations bio par les organismes certificateurs sont particulièrement nombreux. [v] - Vian Jean-François, ISARA-Lyon, Agriculture biologique et qualité de l’eau - Etat des lieux des forces et faiblesses des systèmes de production conduits en AB, 2019 - Benoît M, Garnier J, Billen G, Nitrate leaching from organic and conventional arable crop farms in the Seine Basin (France), 2014 - Holger Kirchmann, Lars Bergström, Do organic farming practice reduce nitrate leaching ? , Pages 997-1028, 2007 - Cynthia A. Cambardella , Kathleen Delate & Dan B. Jaynes, Water Quality in Organic Systems, USDA-ARS National Laboratory for Agriculture and the Environment, Ames, IA, USA - Guido Haas, Martin Berg, Ulrich Köpke, Nitrate leaching: comparing conventional, integrated and organic agricultural production systems, Institute of Organic Agriculture, University of Bonn, 2002 - Selon le rapport ITAB-INRA pour le Ministère de l’Agriculture, “Quantifier et chiffrer économiquement les externalités de l’agriculture biologique ?” (2016), qui se base sur de précédents travaux : “Plusieurs études concordent sur le fait que la quantité de nitrates lixiviés peut être réduite de 35 à 65% en bio (Stolze et al., 2000 ; Benoit et al., 2014)”. [vi] www.unab-bio.be [vii] Pour illustrer cela, d’un point de vue sémantique, certain.e.s font la distinction entre « le bio », qui illustre le cahier des charges strict encadrant ce mode de production, et « la bio » qui fait référence à ce même cahier des charges en y ajoutant l’ensemble des valeurs qui ont porté et portent encore les pionniers de l’agriculture biologique.

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